Méditations sur l'assomption de Marie
Considérons, en premier lieu, que le corps de Notre-Dame, durant les trois jours qu'il resta dans le sépulcre, demeura aussi intact que si l'âme n'en était pas séparée. Car, comme Dieu, par un privilège spécial, la préserva de la tache du péché originel, bien que sa conception, dans l'ordre naturel, n'ait pas été différente de celle des autres enfants d'Adam, de même, quoique sa mort ait ressemblé à celle des autres hommes, son corps néanmoins, par une grâce singulière, fut exempt de la corruption du tombeau, qui est la peine du péché. En sorte qu'elle n'eut point de part à la malédiction que le Seigneur avait lancée contre l'homme, en lui disant : Tu es poussière, et tu retourneras en poussière. Or Dieu lui accorda ce privilège pour trois raisons.
1) Ce fut pour honorer sa pureté virginale qui avait été toute miraculeuse et sans exemple, confirmée par un vœu exprès, et gardée inviolablement jusqu'à la mort. Une semblable pureté méritait sans doute une récompense extraordinaire. Or pouvait-elle en avoir une qui lui fût plus proportionnée que l'incorruptibilité de ce corps, dont elle avait toujours été le principal ornement ?
2) Ce fut pour récompenser l'innocence et la sainteté de son âme qui, dans un corps mortel, n'avait jamais senti le ver intérieur des consciences coupables, à laquelle il ne s'était jamais attaché la moindre poussière, et qui n'avait participé en rien aux imperfections de l'Adam terrestre. C'est pour ce sujet que les vers ne touchèrent point au corps de la plus pure des vierges, et qu'il ne fut point réduit en poussière, non plus que celui de l'Adam céleste, dont le Prophète, admirant la sainteté, disait : Vous ne permettrez pas, Seigneur, que votre Saint voie la corruption.
3). Il était de l'honneur du Fils de conserver dans son intégrité le corps de sa Mère. Car la chair de Jésus, dit saint Augustin, est la chair de Marie. Puis donc que la chair de Jésus n'avait pas éprouvé la corruption, il était juste que celle de Marie en fût exempte.
Ô digne Mère de mon Sauveur, arche du Nouveau Testament, fabriquée de bois incorruptible de Sétim, et revêtue d'un or très pur, dans laquelle a reposé celui qui est le propitiatoire commun de tous les pécheurs ; je me réjouis de l'incorruptibilité de votre corps, et de la beauté de votre âme, à qui les vertus, comme un or fin et brillant, donnent un merveilleux lustre. Obtenez-moi cette pureté incorruptible d'un esprit doux et modeste, qui est un riche ornement aux yeux de Dieu, afin que mon âme étant exempte de la corruption du péché, mon corps, au dernier Jour, soit délivré de la corruption qui est la peine du péché.
II. — Le corps de Marie ressuscité le troisième jour
Considérons, en second lieu, la résurrection de la bienheureuse Vierge, dont le corps sortit vivant et glorieux du sépulcre au troisième jour, par la toute-puissance de son Fils. Jésus, plein d'amour et de tendresse pour sa Mère, crut que ce serait trop peu faire pour elle de conserver son corps sans corruption jusqu'au temps de la résurrection générale. Il voulut prévenir ce temps et lui rendre la vie au bout de trois jours : ce qu'il fit pour plusieurs raisons.
1) Non content d'avoir comblé le désir surnaturel que l'âme de sa Mère avait de contempler Dieu face à face, le Sauveur voulut encore satisfaire l'inclination naturelle qu'elle conservait pour son corps, ainsi que les autres saints, qui selon saint Jean dans l'Apocalypse, prient instamment le Seigneur de hâter la résurrection des leurs. Et comme le corps et l'âme de Marie avaient toujours travaillé de concert pour accomplir la volonté de Dieu sur la terre, il était conforme à sa bonté de les réunir au plus tôt, afin qu'ils recommençassent à le louer et à le servir dans le ciel, avec plus de ferveur que jamais.
2) Ce fut encore pour nous donner une ferme espérance de notre résurrection future. Car ce n'est pas seulement Jésus-Christ, Dieu et homme, qui est ressuscité ; c'est encore sa Mère, bien qu'elle ne soit qu'une pure créature. Que cette pensée excite en nous de vifs désirs d'aller à Jésus et de rechercher, non les choses de la terre, mais celles du ciel, où il a établi son trône, et où celle en qui il a pris un corps semblable au nôtre est assise à sa droite.
3) Il fallait en outre que Notre-Dame conservât dans tous les siècles, jusqu'au jour du jugement, la qualité de Mère de Dieu. Or ce glorieux titre ne convient pas à son âme seule, mais à son âme et à son corps réunis ensemble.
4) Il était à souhaiter qu'elle pût exercer dans le ciel l'office de mère et d'avocate des hommes, et apaiser la colère de son Fils irrité contre eux en lui montrant ses mamelles, comme le Fils adoucit le courroux de son Père en lui découvrant ses plaies.
5) Enfin, comme le premier Adam avait eu, dans le paradis terrestre, une aide et une compagne semblable à lui par les qualités naturelles, de même le second Adam voulut en avoir une dans le ciel, qui lui ressemblât en ce qui concerne la gloire du corps et de l'âme.
Ces raisons, et quelques autres, déterminèrent Dieu à tirer du tombeau la dépouille mortelle de l'auguste Marie, et à réunir sans retard son âme à son corps pour jamais. Oh ! Qui pourrait dire de quelle joie ce nouveau bienfait remplit le cœur de Notre-Dame, et avec quel transport elle entonna, dans ce troisième jour, son admirable Cantique : Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi en Dieu mon Sauveur ! Le Tout-puissant a fait en moi de grandes choses, en glorifiant mon âme et mon corps. Oh ! Quel contentement ressentit ce corps sacré quand il se vit réuni à cette âme bénie, qui lui communiqua les quatre qualités des corps glorieux ! Car il devint à l'instant même plus resplendissant que le soleil, plus beau que la lune. Il fut doué de l'immortalité, de l'impassibilité, de la légèreté, de la subtilité, exempt désormais de la faim, de la soif, de la fatigue ; à l'abri de tous les changements et de toutes les misères ; en un mot, ressuscité à une vie nouvelle et bienheureuse pour ne plus mourir.
Je vous rends grâces, ô Verbe éternel, de cette dernière faveur que vous ajoutez à toutes celles dont il vous a plu d'enrichir votre Mère. En songeant à son honneur, vous n'oubliez pas le vôtre ; car la gloire d'une mère est celle de ses enfants. Ô glorieuse Vierge, toutes les puissances de mon âme vous félicitent du nouveau privilège que votre Fils vous accorde en ce jour. Vous n'avez plus rien à lui demander, puisqu'il rend votre corps impassible et immortel comme le sien. Soyez donc ma médiatrice auprès de lui ; montrez-lui les mamelles qui l'ont nourri ; priez-le d'exaucer mes désirs, et de me faire la grâce de le servir si fidèlement en cette vie, que je mérite de participer à sa gloire en l'autre.